“Souvenirs d’Hervé” est un monologue écrit pour la création de “DUO”, une pièce de théâtre composée en alternance par des sketchs et ce monologue qui est lui-même “découpé” en quatre parties vient rythmer le spectacle. Alors que les sketchs sont sur un ton provocateur ou d’anticipation, légèrement décalé, les “Souvenirs d’Hervé” offrent la profondeur due au thème du spectacle : le sida.

Nous sommes en 1995. A cette époque, mon engagement dans la prévention du Sida se concrétise par la création de pièces de théâtre-prévention sur ce thème qui en ces années-là est à la fois indispensable de mettre en scène et en même temps délicat.

“DUO” a été écrit à quatre mains avec Cyril Aufrère.
“Souvenirs d’Hervé”, est le résultat d’une nuit blanche, écriture dans l’urgence, à trois jours de la première.

Partie 1

« SOUVENIRS D’HERVÉ »

Un écran géant, sans image. Voilà ce dont je me souviens. C’était exactement cela, l’impression du vide, jamais plus, il n’y aurait d’image.
C’était un matin, j’avais pris rendez-vous pour 11h. Je n’appréhendais pas vraiment cet instant. Ce dépistage, je l’avais fait comme ça, sans y penser, ou presque… En fait, en essayant surtout de ne pas y penser…

Tout doucement, une peur sourde m’enveloppa. Je n’avais pas toujours fait attention comme on dit !
J’étais arrivé un peu en avance.
11h10. Le docteur était en retard ou alors il reculait le moment de me dire…
Impossible de me concentrer… impossible de lire ces revues.

Monologue - Françoise Robin - Biographe - auteur

11h15. Qu’est-ce qu’il fait ! L’assistante m’explique qu’il va arriver, qu’il a été appelé en urgence chez une de ses patientes. Je m’en fous ! Moi aussi, je suis dans l’urgence !
Alors, je pense à Marianne. C’est pour elle que je suis là, à cause d’elle. La reine de la capote. Cinq mois qu’on s’aime comme des fous, cinq mois que ce bout de latex nous accompagne, s’immisce, discret certes, mais présent. Même dans les moments les plus fous, les plus… elle a toujours le réflexe !
C’est la première fois que j’aime aussi pleinement, c’est aussi la première fois qu’avec elle, pour elle, pour nous, je la laisse habiller ma queue droite et fière de ce bout de plastique.
11h20. Une porte claque, me sort de ma rêverie et l’assistante me fait entrer dans le bureau du médecin. Il est à côté, dans la petite pièce pour les soins. Il me lance un bonjour, me dit de m’asseoir, qu’il en a pour une minute.
Le silence entre en moi, méthodiquement, par chaque pore de ma peau. J’ai froid.
Il arrive, je lève la tête, je croise son regard. C’est à ce moment précis que je n’ai plus douté. L’attente était terminée.
Je ne me souviens plus des mots qui se voulaient réconfortants : bilan régulier, hygiène de vie, soins, il faut garder espoir. Espoir. Je crois que c’est ce mot qui a raisonné au plus profond de moi et qui m’a donné la force de m’enfuir, de courir, courir…

Marianne, Marianne, séropositif, Marianne, séropositif, séropositif…
Séropositif.
Je ne sais toujours pas si ma vie s’est arrêtée ou a commencé ce jour-là !