Échappée Virtuelle : Dominique ou Albertine disparue

Ce texte s’inscrit dans le projet “Échappée virtuelle” et Dominique est la première à témoigner.

Digressions et éclats de rire

À la lecture de son témoignage, Dominique a été surprise du « sérieux » des propos, et du décalage avec le « vécu » de nos échanges.
Tout d’abord, lire des paroles que l’on a dites est toujours un exercice surprenant ! D’autant plus que l’auteur tout en restant fidèle aux propos investit le texte de son propre ressenti. Peut-être ce qu’il a entendu de ce qui n’a pas été dit…
Il était important pour Dominique (et moi aussi !) de dire combien ce témoignage a été ponctué de nos éclats de rire, à en perdre le fil, rires et émotions comme une porte ouverte aux digressions ! Elles ont été nombreuses.

Echappée virtuelle ou comment exprimer son vécu du confinement

À noter : ce témoignage a été publié après relecture et accord de Dominique

Retraitée depuis plusieurs années et vivant seule, dans une solitude choisie, Dominique se décrit comme quelqu’un de contemplatif.
C’est une Méditerranéenne, et avec le temps, elle ressent ses attaches encore plus fortement avec une attirance marquée vers l’Orient.
Elle aime lire, beaucoup.
Écouter de la musique, beaucoup.
Laisser vagabonder ses pensées et ses rêves, confortablement installée dans son canapé.

Avant le 17 mars 2020, la vie quotidienne de Dominique est bien réglée : le matin, elle apprécie faire ses courses dans son quartier, de retour à la maison, elle prépare son repas. C’est une activité qu’elle affectionne, car cela la calme. Je la devine aussi gourmande — à l’occasion, je cuisinerai sa recette d’aubergines aux anchois.
L’après-midi, Dominique fait un petit tour à pied. Lorsque son chien Othello était à ses côtés, ils partaient tous deux à la conquête de la ville et arpentaient méthodiquement les rues de Montpellier, jusqu’au parc Méric où Othello, indépendant et têtu (comme sa maîtresse, précise-t-elle !) pouvait s’ébattre et dégourdir ses pattes. Il y avait aussi la routine du petit matin avec Othello. Direction, l’esplanade du Pérou. « Nous nous arrêtions, au pied du château d’eau, d’où je pouvais contempler « mon Pic Saint Loup » et souvent, je me disais : un jour, je ne pourrai plus contempler tout ça… et j’étais prise par de fortes angoisses, consciente que ma présence au monde ne serait pas éternelle… À ce moment-là et pour combattre l’anxiété montante, j’appelais Othello et nous prenions le chemin du retour. »
Othello est parti et les balades ne sont plus tout à fait pareilles.
Même le parc Méric, a perdu son charme.

témoignage-dominique-confinement-avril-2020
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17 mars 2020 – 12 h
CONFINEMENT

Dominique me confie que les premiers jours ont été très durs à vivre, les repères disparus, les habitudes envolées, les sorties annulées. Il fallait accepter, s’habituer au fait d’être cloîtré chez soi. Les infos en boucle, les questions sans réponse, période d’incertitude qui engendre de l’anxiété. Ne plus écouter les médias !
Quelques jours passent, sortie de cette espèce de torpeur, Dominique utilise les opportunités qu’offre l’attestation de déplacement dérogatoire.
Le matin, elle a repris le chemin de l’épicerie pour les achats du repas de midi. Puis, de retour chez elle, Dominique prépare son déjeuner. Et l’après-midi, elle s’octroie le droit, munie d’une nouvelle attestation de faire une heure de marche dans la ville, pas loin, moins d’un kilomètre.

Un des impacts des plus forts, c’est le fait d’être seule ou presque dans les rues. Dominique me raconte aussi ce jour où elle est arrivée en gare de Montpellier pour se rendre à Nîmes (Alinéa 4 de l’attestation de déplacement dérogatoire – Visite à sa mère, très âgée et vivant seule). « Il n’y avait pas un chat ! La gare vide… J’avais l’impression d’entrer dans un film de science-fiction ; je me demandais même si le train serait là. »

Et le temps passe, le temps passe toujours et Dominique dit qu’elle s’accoutume ou presque… mais pas tout à fait… il y a encore ces moments d’angoisse quand elle se réveille au milieu de la nuit, son cœur qui bat violemment. Un réveil brutal, des questions en cascade, une montée de stress, se lever, rester couchée, que faire ?
Et petit à petit, le cœur se calme, le sommeil revient.

Alors, mis à part ces quelques battements de cœur saccadés, qui y a-t-il de changé ? Rien ? Tout ?
C’est comme une sensation insaisissable, à peine définissable, mais bien là.

Une petite révolution, en fait.

Dominique, très étonnée par ce changement, dit qu’elle a appris en quelques jours à vivre au jour le jour. « Je ne me projette plus, je lâche prise. C’est totalement nouveau pour moi ». Lorsque j’insiste : « Est-ce en lien avec le confinement ou est-ce une coïncidence ? », Dominique, même si les mots sont difficiles à trouver est bien convaincue que cette période inédite favorise pour elle, un renouveau.

Après un silence, elle me dit en riant : « Je suis agnostique, mais un peu mystique aussi ! Mais c’est surtout la spiritualité qui m’a toujours profondément intéressée ». Elle enchaîne immédiatement avec le récit de « Sa » fête de Pâques. Si cette fête religieuse a toujours été importante pour elle, car elle la ressent comme une ouverture au monde, un chemin vers la spiritualité, Dominique peine à décrire ce qu’elle a vécu cette année.

C’est au réveil que cela s’est produit, une énergie nouvelle, déstabilisante, car jamais ressentie. « C’était déconcertant, car je ne suis pas une personne très énergique. J’avais l’impression que l’on m’avait ôté un poids. Cela peut paraître complètement stupide, c’est inexplicable et depuis, je vis avec ce poids en moins. »

Légèreté !
Est-ce cette légèreté qui donne à Dominique le désir de raviver son intérêt pour deux religions ? La religion protestante qu’elle explique par le fait que sa grand-mère maternelle était protestante, mais surtout elle relate le souvenir d’un prêche d’une femme pasteur qui l’avait éblouie, il y avait dans les paroles de cette femme une dimension philosophique, un humanisme qui venait profondément du cœur.

Et puis, grâce à Facebook, Dominique a fait connaissance avec Delphine Horvilleur. « C’est une femme extraordinaire. Je l’écoute et j’ai appris des tas de choses, mais ce n’est pas sur le plan historique que cela m’intéresse, mais comment à partir de cette histoire on arrive à dévier vers notre histoire à nous, aujourd’hui. »

Plonger dans l’étude de ces religions permet à Dominique de tenir, de mieux vivre le confinement.
« C’est très bizarre, mais les gens que je côtoie normalement ne me manquent pas, alors qu’avant… Bien sûr, cela me fait plaisir lorsqu’ils m’appellent… c’est un peu comme si je les avais mis entre parenthèses. Je vis les choses différemment, il y a aussi du détachement. »

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Du détachement au lâcher-prise.

Ce confinement est un paradoxe. Il oblige Dominique à plus de solitude – seule dans la ville, seule dans la gare, seule face à soi-même – mais il l’oblige d’une certaine manière à aller vers des chemins intérieurs, et cette solitude forcée, subie devient la messagère de plus de sérénité.

Tellement plus de sérénité que Dominique, qui est en analyse (sur le divan, précise-t-elle) remet en question la poursuite de ce chemin thérapeutique. « C’est peut-être le bon moment pour mettre fin à cela… » Ce qui la surprend d’autant plus, qu’au début du confinement, elle était anxieuse à l’idée de ne pas faire sa séance hebdomadaire.

Il remue beaucoup ce confinement, il remue de dedans en profondeur. Il fait surgir comme une évidence, comme une urgence, cette quête spirituelle si longtemps mise de côté. Il ne change rien, il change tout…

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Dominique me confie que la surprise inattendue de ce temps suspendu est le fait d’apprendre à ne compter que sur elle-même. Non pas qu’elle retire sa confiance aux personnes qui l’entourent, mais simplement le fait de ne plus être dans l’attente, de l’autre, des autres, de leur réassurance… « et d’aller au-delà… À mon tour, trouver la parole juste pour soutenir une amie inquiète du devenir… c’est moi maintenant qui peux apporter du réconfort… »

Cette confidence en amène une autre, plus enfouie, mais tellement importante. « Un de mes grands rêves, c’est de voyager et d’aller à Jérusalem. Je ressens comme un besoin d’être dans cette ville, berceau de toutes les religions. » C’est grâce à la lecture que Dominique a découvert Jérusalem. La description de cette ville de page en page, a été comme une révélation.
« Il faut que je m’y rende ! »

L’après confinement

Suite à son témoignage, j’ai proposé à Dominique d’écrire quelques mots sur l’après confinement…
Les voici.

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Sollicité par mes balades en solo durant le confinement, mon œil s’est fait photographe, témoin d’une ville nouvelle, endormie, silencieuse, donnant libre accès à l’imprévu, à l’inconnu comme au connu… mais mon regard se faisait plus intime, je faisais totalement corps avec ce que j’observais, et le rendu des instantanés était comme une projection de mes états d’âme… Temps béni d’introspection !

Et depuis 20 jours, la ville a renoué avec le temps d’avant … ou presque ! Je continue à  croiser des masques, la distanciation est une question d’individu, je poursuis mon challenge de 7 ou 8 kms par jour, je suis masquée ou démasquée, mes photos essaient de rendre compte de cette nouvelle étape, mais elles sont plus distanciées …

Les photographies de Dominique
Les librairies à nouveau ouvertes m’ont permis d’engranger… pour plus tard.
J’ai retrouvé la marche en petite randonnée en pleine nature, l’odeur des genêts ; j’ai goûté à  la plage dynamique, au bonheur de l’eau … mais je ne peux parler de délivrance, de liberté…
Je n’ai pas conscience d’avoir vécu  une période difficile de 54 jours de confinement…
La parenthèse s’est ouverte, mon inconscient s’était mis lui aussi en confinement, j’ai repris mes rêves et la traversée du divan…
Non, rien n’a vraiment changé. Mes aspirations sont toujours les mêmes, je ne me projette pas, je vis au jour le jour… et plutôt bien, avec sagesse teintée d’un grain de folie !
Dominique ou Albertine disparue.